Créer un internet féministe, accessible et décolonial : Atelier avec Xonanji
Published on: 16 January 2020
En décembre dernier, nous avons eu le grand plaisir de clôturer notre campagne des 16 jours intitulée « À qui la rue? À nous la rue! Visibiliser le silence. Occuper. Créer » avec un tout premier cercle d’apprentissage féministe francophone.
L’objectif de notre campagne était de dénoncer comment les personnes de la diversité sexuelle et de genre et les femmes sont réduites au silence : par le harcèlement, par la violence sexuelle et genrée, par la répression gouvernementale et policière, par les agresseurs et harceleurs qui poursuivent en diffamation des survivantes, par les réseaux sociaux qui suppriment nos publications ou ferment nos comptes, etc. En répertoriant plusieurs cas, en apparence isolés, nous avons rendu visible comment cette réduction au silence est en fait systémique et patriarcale.
Au delà de la dénonciation, nous invitions également les gens à occuper les rues de l’internet, spécifiquement par la création féministe et subversive. C’est ici que notre atelier « Design graphique pour toutes! » entre en jeu. Animé par l’artiste et militante franco-camerounaise Xonanji, l’atelier nous a permis de découvrir les bases de l’outil gratuit en ligne : Canva. Nous avions eu un atelier similaire en anglais avec Smita V. en septembre dernier.
Xonanji est co-fondatrice et membre du collectif anti-autoritaire, féministe et panafrorévolutionnaire Cases Rebelles, basé en France. C’est dans une perspective féministe décoloniale qu’elle a fait une présentation sur l’accès inégal à internet qui nous a ensuite mené à une discussion sur l’utilisation des langues coloniales dans nos contenus pour finalement interroger le cadre formaté que l’outil Canva peut nous offrir.
Occuper l’internet, mais qui y a accès?
On peut appeler à occuper internet en tant que personnes queer, personnes trans, femmes ou féministes, mais on ne peut le faire sans poser la question de l’accès à internet. Non seulement, l’écart est genré (les hommes ayant plus accès), mais il est également creusé par les rapports coloniaux Nord/Sud. « On voit aussi que les femmes des pays dits « du sud » ont moins accès à internet que les femmes européennes » comme le soulignait Xonanji dans sa présentation. En parlant de l’Afrique, l’Asie, du Pacifique et du Moyen-Orient, Xonanji rappelait que l’accès est : « lié à la question des faibles revenus, de l’accès à l’éducation, mais aussi à celle des infrastructures de télécommunication inégalement à disposition, de leur couverture partielle du territoire, des tarifs d’accès élevés, du manque d’équipement publics d’accès à internet (écoles, lieux culturels). » Et tous ces facteurs sont entre autres le fait des « inégalités organisées au niveau mondial par le néolibéralisme, et le néocolonialisme. De tout cela dépend donc la présence des femmes en ligne, et leur capacité à exister, à occuper internet, et donc à résister en ligne aussi aux rapports de force qui tendent à les réduire au silence. »
Création par Agnès Delrieu. "Nous transpirons et pleurons de l'eau salée. C'est ainsi que nous savons que l'océan coule vraiment dans nos veines." - Teresa Teaiwa (poétesse d’origine kiribatienne et afro-américaine)
On parle quelle langue sur internet?
La présentation de Xonanji a suscité une intéressante conversation sur les langues coloniales, hégémoniques, utilisées sur internet : le français, l’anglais ou l’espagnol. Une personne se demandait si, pour avoir plus de portée, on devrait utiliser ces langues? D’un autre côté, elle disait comment c’était important de partager des messages forts dans plusieurs langues. La langue est politique, comme le disait une autre participante. Pour Xonanji, « c’est important d’avoir des messages politiques et féministes, qui vont parler au plus grand nombre de personnes et qui vont aussi s’affranchir des langues dominantes. » La langue porte un bagage historique et politique, et c’est pourquoi « ça peut avoir de la force aussi d’occuper internet avec ces langues [locales] là, et que ce soit vu aussi dans des espaces des langues dominantes. »
Gif créé par la participante Cécile Pillon Hue de chez AWID (Bonne année en plusieurs langues)
Notre formatrice a également abordé la question de l’accessibilité sur internet : pour les personnes ayant un handicap visuel, par exemple. Si les images valent mille mots, tout le monde ne peut pas voir ces images, et alors, nos messages se perdent. Il est possible de changer nos pratiques pour rendre nos contenus plus accessibles : en ajoutant une description écrite de nos images dans nos billets de blogs ou dans nos publications sur les réseaux sociaux.
Sortir du cadre « publicitaire »
Finalement, Xonanji a apporté une nuance critique face à Canva. C’est un outil très pratique et accessible par sa gratuité, et souvent les modèles et images offertes tombent dans une culture « publicitaire » de l’image. Canva peut avoir un côté très formaté, avec des images et couleurs douces ou à tendance pastel comme le remarquait Xonanji. Elle nous invite donc à « casser cet aspect là » pour nos messages politiques. De plus, il faut garder un œil critique car les images qui y sont offertes gratuitement correspondent à une « culture de l’image très occidentale ». Ceci amène également la question de la diversité des corps dans les images qu’on crée, partage et consomme. Si les banques d’images gratuites/libres de droit ne contiennent que des corps blancs, mince et sans handicap, il faut chercher plus loin. Et comme le mentionnait Xonanji, on peut utiliser l’illustration et le dessin pour élargir notre éventail de représentation et sortir des images corporelles dominantes. Il ne faut pas hésiter à sortir des standards de la communication.
Création par consentis.info. (Le consentement est enthousiaste)
Grâce à notre atelier avec Xonanji, nous avons pu explorer les possibilités que nous offre Canva. Elle a apporté une perspective critique sur l’accès à internet, sur l’accessibilité, sur l’hégémonie des langues dominantes. L’internet est marqué par les mêmes rapports de force que l’espace non-virtuel. Occupons internet avec nos visuels (trans)féministes, politiques, anticolonialistes, anticapitalistes!
Vous pouvez consulter la vidéo ainsi que les notes de l'atelier. Consultez aussi les autres Cercles d'apprentissage féministe.
Quelques banques d’images libres de droit :
- 70 banques d’images possibles : https://fr.shopify.com/blog/47729285-les-22-meilleures-banques-d-images…
- 8 banques d’images centrées sur la diversité de genre, sexuelle, corporelle, des personnes racisées, etc. : https://www.invisionapp.com/inside-design/diverse-stock-photos/ (Vérifiez les licences d’utilisation des images.)
- Pixabay
Choisir nos palettes de couleurs :
- https://graphiste.com/blog/choisir-palette-couleurs : 10 outils gratuits pour trouver la palette de couleurs idéale
Quelques outils gratuit pour s’amuser :
- https://www.cartoonize.net/ : Cartoonize permet de transformer une photo en dessin. C’est un site gratuit qui contient beaucoup de publicités. Vous pouvez prendre une photo de votre ordinateur ou un URL.
- http://funny.pho.to/fr/graphite-pencil-sketch/ : Pour transformer une photo en croquis.
Accessibilité et handicap :
- https://www.amitele.ca/accessibilite-des-medias-sociaux : Guide d’accessibilité des médias sociaux
- https://webaim.org/resources/contrastchecker/ : Outil pour vérifier les meilleurs contrastes de couleurs, dans une optique d’accessibilité.
Images, violences et trauma :
- Une image, mille mots et des baffes qui se perdent : Un article d’une membre du collectif Cases Rebelles qui critique le partage d’images violentes et retraumatisantes. « Qu’il s’agisse de meurtres policiers, de vieux crimes coloniaux, de guerres, de violences post-électorales, ces images concernent systématiquement des corps non-blancs à qui l’on refuse la dignité et l’intimité jusqu’au bout. » - F.C. Cases Rebelles
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